samedi 11 juin 2016

#çavamieux

(#)çavamieux est la formule prononcée par François Hollande dans l'émission "Dialogues Citoyens", diffusée le 14 avril 2016 sur France 2.

François Hollande fait depuis le début de son mandat présidentiel un usage récurrent de la méthode Coué : le fameux #çavamieux restera très certainement une des formules marquantes de son quinquennat.

Rendons-lui justice, il n'est pas le seul homme politique à user de techniques de communication en appelant à Monsieur Coué dans des situations difficiles. D'autres dirigeants européens, comme par exemple David Cameron, ou encore Mariano Rajoy, l'ont également fait, ainsi que le souligne +Florian Silnicki.

La méthode Coué est une prophétie auto-réalisatrice : elle postule qu'il est possible d'influencer notre être inconscient par l'auto suggestion, et ainsi améliorer notre état. "Tous les jours et à tous les points de vue, je vais de mieux en mieux". Tout le monde a entendu parler de l'effet placebo, et il est vrai qu'il existe des cas, avérés, dans lesquels cela fonctionne.

Je reste néanmoins très circonspect par rapport à l'usage de la méthode Coué et ses avatars, parfois prônés par certains marchands de bonheur dans des situations et contextes qui ne s'y prêtent pas. Voici quelques illustrations des limites, de mon point de vue, de la pensée positive :

1. Vous êtes dans une situation vraiment difficile.
Certains tenants de la pensée positive pourraient vous enjoindre de voir à tout prix le(s) "côté(s) positif(s)" de votre situation; il est possible qu'il y en ait, tout comme il est possible que considérer ces aspects positifs vous aide. Face à une situation préoccupante, vous risquez pourtant de passer "à côté". Excès d'optimisme, manque de discernement sur la situation, pensée magique vous guettent. Vous courez alors le risque de choisir de mauvaises options, voire de faire preuve de passivité.

2. Vous êtes (encore) dans une situation difficile.
Quelqu'un de votre entourage vous dit "de quoi te plains-tu ?"... Violent ! Tout aussi violent, même si cela a l'air plus doux, est le fameux "ne t'inquiète pas".
Ces formules, ces "conseils", si vous les prenez à la lettre, vous conduiront peut-être à éviter d'accueillir votre émotion du moment. Vous aurez peut-être l'impression d'avoir passé l'obstacle avec succès. Pourtant, en évitant ce passage, il se peut aussi que votre émotion resurgisse de manière différée, plusieurs semaines, ou plutôt plusieurs mois voire plusieurs années plus tard, sans que vous sachiez alors faire le lien entre cette résurgence et l’événement, non pris en compte au plan émotionnel, qui en est la cause. Prendre le temps d'accueillir et d'accepter, lorsqu'elles se présentent, vos émotions, toutes vos émotions, même les émotions douloureuses, est essentiel pour votre équilibre.

3. La pensée positive serait censée vous accompagner à toutes les étapes de votre processus de changement face à une situation problématique.
Dans ce cas, il existe d'abord un réel risque de confusion entre la cause et l'effet. Surmonter une situation difficile en ayant mis en oeuvre vos ressources pour cela est un motif légitime de satisfaction, et qui produira sans doute un effet positif sur votre état. Encore faut-il laisser le temps au processus intérieur, accompagnant un changement, de se dérouler. S'enjoindre d'être positif à tout prix en brûlant les différentes étapes nécessaires pour passer un cap difficile (ce qu'Elisabeth Kübler-Ross a conceptualisé dans la célèbre et très souvent galvaudée courbe du deuil) peut être particulièrement inefficace, voire contre-productif.

Danger quand gourou
4. Vous êtes devant quelqu'un vous vantant (ou vous vendant ?) le caractère universel des techniques proposées.
"Ca marche à tous les coups, et dans toutes les situations". Quelques adeptes de la méthode, un tout petit peu plus subtils, vous expliqueront dans un premier temps, pour vous mettre en confiance, qu'il existe des situations difficiles, "mais que...". Ce "mais que..." est un message d'alerte, les gourous ne sont pas loin.

5. La  méthode est parfois proposée à des fins de culpabilisation, voire de manipulation.
Il me revient en mémoire une situation professionnelle passée, dans laquelle je dirigeais un projet complexe avec de très nombreuses interfaces, qui avait plusieurs mois de retard. Je ne trouvais pas de solution pour rattraper le retard. La phrase prononcée alors par un de mes supérieurs m'avait laissé pantois :" Si tu ne crois pas que tu peux rattraper le retard, alors comment veux-tu que les personnes du projet y croient ?" Outre le caractère culpabilisant de la phrase en question, je notais alors l'emploi du mot "croire". La résolution n'était pas pour lui dans l'action, mais dans le fait de croire.

Et vous ? Où en êtes-vous avec la méthode Coué et la pensée positive? Qu'en...pensez-vous?

jeudi 26 mai 2016

7 nuances de modes (7) locrien

Ah, le mode locrien... Un mode rejeté par la majorité des musiciens académiques. Le locrien est soigneusement évité à partir de la fin du moyen âge du fait de l'omniprésence dans ce mode du triton. Le triton existe dans d'autres modes mais n'en constitue pas l'essence, comme dans le locrien. Le triton est considéré comme "musicalement diabolique" et est délaissé durant des siècles. Wikipédia explique que l'assimilation culturelle du triton avec le diable s'est faite à partir de ce moment dans l'inconscient collectif; cette explication me paraît plausible.

Le triton, musicalement, c'est cela :



Léonard Bernstein décrit le mode locrien en ces termes : "A présent, le mode suivant, commençant par un "si", est connu sous la dénomination de mode locrien. On peut vraiment passer vite dessus, parce qu'il n'y a quasiment pas de musique écrite dans ce mode. Voyez-vous, le mode locrien et étrangement peu satisfaisant, il semble inachevé, principalement parce que l'accord tonique associé est terriblement instable...". Passer vite dessus ? Monsieur Bernstein, vous me poussez ainsi à m'y attarder, sauf le respect que je vous dois.

Les autres qualificatifs sont souvent les suivants : étrange, risqué, glauque, diabolique, irrésolu, instable, dissonant. Que de défauts pour ce mode locrien !

De fait, notre oreille éduquée aux autres modes le percevront généralement comme dissonant. Il est souvent utilisé comme "mode de transition", il est rarement utilisé comme base complète d'un morceau, à la différence des autres modes majeurs.

Certains artistes osent néanmoins le locrien, et pas uniquement d'illustres inconnus. Exemple avec Björk :


Les autres exemples que j'ai trouvés sont plus confidentiels






Je n'ai pas trouvé de morceau de musique classique entièrement écrit autour du mode locrien, mais il est utilisé de manière nette pendant près de deux minutes au début de la symphonie n°4 en la mineur de Sibelius :


Ce mode (ou ce monde ?) est un territoire musical encore peu exploré. Il est possible de continuer à le considérer comme un endroit hostile et dangereux... ou au contraire d'oser s'y aventurer, pour en découvrir le potentiel et les richesses encore inconnues.

lundi 23 mai 2016

7 nuances de modes (6) Eolien

Eolien ? Commençons par ce titre, "le vent nous portera", mélodie éolienne par le titre, mais aussi la tonalité.

Ce mode peut rappeler le dorien, duquel il diffère par la sixième note. J'ai volontairement choisi en priorité des mélodies dans lesquelles on entend nettement la "sixte" mineure, permettant de distinguer la sonorité éolienne de la sonorité dorienne, dans lequel la sixte est majeure.



Quelques autres exemples, comme ce morceau très connu de Moody blues, à écouter à partir de la seconde 20 pour bien en capter le caractère éolien


Ce "Princess of the Dawn" ne laisse pas de doute... éolien !


Ou encore cette reprise d'un tube de Metallica... éolienne !



La musique d'inspiration celtique, souvent jouée en mode dorien, peut être éolienne, comme ici



Je finis avec une petite facétie. J'ai indiqué au début de ce billet que j'avais choisi des morceaux avec une sixte mineure nette. Mes pérégrinations musicales m'amènent à proposer une exception. Voici une autre ballade celtique du même artiste, Alan Stivell, écrite en hommage au barde Glenmor. Cette ballade est délicieusement ambiguë d'un point de vue modal, car la sixte est soigneusement évitée. Ni dorien, ni éolien... ou les deux, par absence de cette fameuse sixte.









vendredi 20 mai 2016

7 nuances de modes (5) mixolydien

Voici un mode avec un nom à rallonge. Mode proche du lydien ?

Comme tous ces noms de modes ont traversé les siècles en changeant de couleur, de forme, il est assez difficile d'établir des liens de parenté durables entre eux.

Le mixolydien moderne n'est pas le mixolydien antique, ce dernier se rapprochant du mode locrien moderne, qui sera traité dans un prochain billet.




Rendons hommage à un artiste récemment disparu qui a écrit un tube au milieu des années 80, commençant en mode mixolydien



Ce mode est très répandu dans le rock, la (les) musique(s) pop et le jazz, de par sa sonorité qui rappelle celle du blues. Quelques exemples très connus sont donnés ci-dessous, il en existe des centaines.






Et ici, un autre morceau à la tonalité mixolydienne, toujours dans le registre pop/rock, moins enjoué (Say it ain't so Joe)



Ce mode se retrouve dans la musique traditionnelle écossaise (Flowers of the Forest) :



Debussy l'a également utilisé dans la "Cathédrale Engloutie", on l'entend distinctement ci-après pendant 20 secondes à partir de la deuxième minute




Ce mode présente des caractéristiques ambivalentes. D'une part, il utilise une tierce majeure. D'autre part, c'est un mode utilisant une septième mineure, note caractéristique utilisée dans le blues. Le musicien pourra donc choisir d'insister plus ou moins sur l'une ou l'autre de ces caractéristiques pour évoquer une atmosphère plutôt "majeure" ou plutôt "mineure", tout en utilisant un seul et même mode. Joli mode caméléon !
Ce caractère ambivalent explique peut-être une partie de son succès.

Le mode mixolydien serait donc une sorte d'assurance tout risque musicale; d'ailleurs, le début du générique de la série "Agence Tous Risque" est... mixolydien. MERCI Mr. T !