jeudi 26 mai 2016

7 nuances de modes (7) locrien

Ah, le mode locrien... Un mode rejeté par la majorité des musiciens académiques. Le locrien est soigneusement évité à partir de la fin du moyen âge du fait de l'omniprésence dans ce mode du triton. Le triton existe dans d'autres modes mais n'en constitue pas l'essence, comme dans le locrien. Le triton est considéré comme "musicalement diabolique" et est délaissé durant des siècles. Wikipédia explique que l'assimilation culturelle du triton avec le diable s'est faite à partir de ce moment dans l'inconscient collectif; cette explication me paraît plausible.

Le triton, musicalement, c'est cela :



Léonard Bernstein décrit le mode locrien en ces termes : "A présent, le mode suivant, commençant par un "si", est connu sous la dénomination de mode locrien. On peut vraiment passer vite dessus, parce qu'il n'y a quasiment pas de musique écrite dans ce mode. Voyez-vous, le mode locrien et étrangement peu satisfaisant, il semble inachevé, principalement parce que l'accord tonique associé est terriblement instable...". Passer vite dessus ? Monsieur Bernstein, vous me poussez ainsi à m'y attarder, sauf le respect que je vous dois.

Les autres qualificatifs sont souvent les suivants : étrange, risqué, glauque, diabolique, irrésolu, instable, dissonant. Que de défauts pour ce mode locrien !

De fait, notre oreille éduquée aux autres modes le percevront généralement comme dissonant. Il est souvent utilisé comme "mode de transition", il est rarement utilisé comme base complète d'un morceau, à la différence des autres modes majeurs.

Certains artistes osent néanmoins le locrien, et pas uniquement d'illustres inconnus. Exemple avec Björk :


Les autres exemples que j'ai trouvés sont plus confidentiels






Je n'ai pas trouvé de morceau de musique classique entièrement écrit autour du mode locrien, mais il est utilisé de manière nette pendant près de deux minutes au début de la symphonie n°4 en la mineur de Sibelius :


Ce mode (ou ce monde ?) est un territoire musical encore peu exploré. Il est possible de continuer à le considérer comme un endroit hostile et dangereux... ou au contraire d'oser s'y aventurer, pour en découvrir le potentiel et les richesses encore inconnues.

lundi 23 mai 2016

7 nuances de modes (6) Eolien

Eolien ? Commençons par ce titre, "le vent nous portera", mélodie éolienne par le titre, mais aussi la tonalité.

Ce mode peut rappeler le dorien, duquel il diffère par la sixième note. J'ai volontairement choisi en priorité des mélodies dans lesquelles on entend nettement la "sixte" mineure, permettant de distinguer la sonorité éolienne de la sonorité dorienne, dans lequel la sixte est majeure.



Quelques autres exemples, comme ce morceau très connu de Moody blues, à écouter à partir de la seconde 20 pour bien en capter le caractère éolien


Ce "Princess of the Dawn" ne laisse pas de doute... éolien !


Ou encore cette reprise d'un tube de Metallica... éolienne !



La musique d'inspiration celtique, souvent jouée en mode dorien, peut être éolienne, comme ici



Je finis avec une petite facétie. J'ai indiqué au début de ce billet que j'avais choisi des morceaux avec une sixte mineure nette. Mes pérégrinations musicales m'amènent à proposer une exception. Voici une autre ballade celtique du même artiste, Alan Stivell, écrite en hommage au barde Glenmor. Cette ballade est délicieusement ambiguë d'un point de vue modal, car la sixte est soigneusement évitée. Ni dorien, ni éolien... ou les deux, par absence de cette fameuse sixte.









vendredi 20 mai 2016

7 nuances de modes (5) mixolydien

Voici un mode avec un nom à rallonge. Mode proche du lydien ?

Comme tous ces noms de modes ont traversé les siècles en changeant de couleur, de forme, il est assez difficile d'établir des liens de parenté durables entre eux.

Le mixolydien moderne n'est pas le mixolydien antique, ce dernier se rapprochant du mode locrien moderne, qui sera traité dans un prochain billet.




Rendons hommage à un artiste récemment disparu qui a écrit un tube au milieu des années 80, commençant en mode mixolydien



Ce mode est très répandu dans le rock, la (les) musique(s) pop et le jazz, de par sa sonorité qui rappelle celle du blues. Quelques exemples très connus sont donnés ci-dessous, il en existe des centaines.






Et ici, un autre morceau à la tonalité mixolydienne, toujours dans le registre pop/rock, moins enjoué (Say it ain't so Joe)



Ce mode se retrouve dans la musique traditionnelle écossaise (Flowers of the Forest) :



Debussy l'a également utilisé dans la "Cathédrale Engloutie", on l'entend distinctement ci-après pendant 20 secondes à partir de la deuxième minute




Ce mode présente des caractéristiques ambivalentes. D'une part, il utilise une tierce majeure. D'autre part, c'est un mode utilisant une septième mineure, note caractéristique utilisée dans le blues. Le musicien pourra donc choisir d'insister plus ou moins sur l'une ou l'autre de ces caractéristiques pour évoquer une atmosphère plutôt "majeure" ou plutôt "mineure", tout en utilisant un seul et même mode. Joli mode caméléon !
Ce caractère ambivalent explique peut-être une partie de son succès.

Le mode mixolydien serait donc une sorte d'assurance tout risque musicale; d'ailleurs, le début du générique de la série "Agence Tous Risque" est... mixolydien. MERCI Mr. T !






mardi 17 mai 2016

7 nuances de modes (4) phrygien


Tous les noms de modes ont été empruntés à la Grèce Antique. Toutefois, si les noms ont voyagé à travers les millénaires, il est acquis aujourd'hui que ce que les grecs ancien appelaient "mode phrygien" ne correspond pas à "notre" mode phrygien.

Un autre point à noter est que certains modes semblent plus typés que d'autres, de par leur usage. Il en est ainsi du mode phrygien qui évoque pour beaucoup l'Espagne.  Le "Concierto de Aranjuez", écrit par Joachin Rodrigo et revisité par Miles Davis en est une claire illustration.

Notre perception musicale résulte de conditionnements culturels et collectifs. Je suis doublement conditionné en vous parlant du mode phrygien, d'abord parce qu'il est dans mon cadre de référence vraiment typé "Espagnol", et ensuite parce que je manque totalement d'objectivité lorsque j'évoque Mile Davis !




En faisant quelques efforts pour sortir de mon propre cadre de référence, j'ai trouvé que le potentiel de ce mode était exploité dans bien d'autres univers. Chez Liszt




Chez Monsieur Glass, en version "non-violente"


Ou bien chez Monsieur Satriani, dans une optique plus "agressive"


Ainsi, le même mode serait capable d'exprimer deux postures a priori opposées. La musique métal utilise le mode phrygien pour évoquer des univers guerriers très sombres en allant quelques crans plus loin, comme ici



Ouf ! En cherchant un peu, je suis sorti d'Espagne, mais j'y retournerai bien volontiers en promenade de temps à autre.

vendredi 13 mai 2016

7 nuances de modes (3) dorien

Le premier univers qui me vient à l'esprit en écoutant ce mode est celui des chansons à la tonalité celtique. Le mode dorien est musicalement un mode qualifié de mineur (au sens de la tierce mineure). L'habituelle simplification "mineur" = "triste" versus "majeur" = "gai" est selon moi réductrice.

Si ce mode évoque parfois la nostalgie, comme ici



il peut aussi amener quelque chose de plus festif, comme là




Les Celtes ne sont pas les seuls ambassadeurs de ce mode. La musique classique n'est pas en reste :




En fait, il s'agit d'un des modes les plus utilisés, il peut de ce fait évoquer une très grande diversité d'humeurs et de sentiments.





Miles Davis et d'autres ont joué un rôle essentiel dans la diffusion auprès du public du jazz modal. Voici deux versions très différentes de "So What", un morceau joué en grande partie en dorien.

La version d'origine est ici :



Outre la tonalité, de nombreux autres éléments contribuent à ce que nous ressentons en écoutant un morceau : le choix des paroles lorsqu'il y en a, leur accentuation, comme cela a été vu ici, Le choix du tempo est également important, comme le démontre cette autre version de "So What"






jeudi 5 mai 2016

7 nuances de modes (2) lydien

Le mode lydien est un mode musical très présent dans le cinéma hollywoodien : il évoque souvent le merveilleux, le rêve, les situations irréelles.




Le thème accompagnant l'envol d'E.T., est lydien, de même que les interventions des différents instruments à vent au tout début du morceau.


On retrouve cette atmosphère lydienne dans maints génériques de films (rappelez-vous du générique des Simpson).





Le folklore d'Europe Centrale est un autre univers musical dans lequel le mode lydien est utilisé : ce mode se retrouve dans les mazurkas polonaises qui ont inspiré Chopin.

Léonard Bernstein fait une démonstration brillante et pédagogique de différentes utilisations du mode lydien.



Voici un dernier exemple traité en mode lydien.



Je m'interroge sur le lien qui pourrait exister entre le mode lydien utilisé dans cette chanson par Michaël Jackson, et "Neverland". Le mode lydien entendu ici n'est sans doute pas à lui-seul une explication valable et convaincante. Par contre, la cadence d'accords utilisée par Michaël Jackson dans ce tube (accord de degré I majeur suivi d'un accord de degré II majeur, ligne harmonique jouée en boucle) caractérise le morceau. Or c'est précisément un motif harmonique que nous retrouvons très souvent dans les références hollywoodiennes, ce qui nous renvoie au début de ce billet.
Si une telle connexion existe, alors cette utilisation du mode lydien serait une référence, consciente ou non, à un monde imaginaire, féerique, lié à l'enfance.

Cela reste une hypothèse !

dimanche 1 mai 2016

7 nuances de modes (1) ionien

Les comptines enfantines ne sont pas l'unique utilisation du mode ionien.
De célèbres compositeurs classiques ont fait usage de ce mode, par exemple Beethoven dans "l'hymne à la joie", ou Bach dans "Jésus que ma joie demeure" :



Ce mode se retrouve dans tous les styles musicaux occidentaux.
Une idée généralement admise est que le mode ionien est un mode "rond", presque parfait dans sa forme. Il est aussi très souvent associé au mot "joie", ce que confirmeraient les titres donnés à leurs œuvres par les deux illustres compositeurs sus-cités. 
Je pense que le mode ionien n’est pas intrinsèquement gai; ce caractère qui lui est attribué relève davantage d’une forme de grammaire musicale fixée par plusieurs siècles d’usage répété de ce mode majeur en l’associant justement à « gaîté, joie », tout au moins dans la culture occidentale. 

Bob Marley chante "No Woman no Cry", mélodie écrite en mode ionien :




Sting chante « I feel so lonely » sur une grille d'accords dont il reconnaît lui-même qu'il l'a empruntée à Bob Marley.


Sting a transformé la mélodie de Bob Marley en "autre chose". Les notes utilisées sont toujours assemblées en mode ionien, mais il utilise moins de notes dans la mélodie que Bob Marley; il se sert en outre essentiellement des notes complémentaires de celles utilisées par Bob Marley. Le résultat ne m'évoque pas la gaité. J'assume la subjectivité de mon avis : le lecteur pourrait m’objecter que mon ressenti est appuyé par la répétition lancinante et presque plaintive du mot "lonely" dans la chanson, ou encore par le choix du texte lui-même.


Sting parvient ainsi, sur un chemin aussi balisé que le mode ionien, à proposer un changement de perspective intéressant, d'autant plus que son approche, en forme de "négatif musical" de Bob Marley, est minimaliste.